Interview de Nathalie Lameyre par William Nahum, Président de l’Académie des Sciences et Techniques, Comptables et Financières, sur le thème du métier du recouvrement de créances et de son rôle dans l’économie.

La FIGEC est une fédération professionnelle rattachée à la branche des sociétés prestataires de services dans le domaine du tertiaire.
Elle regroupe les principales entreprises de recouvrement pour compte de tiers et pour compte propre, ainsi que les spécialistes de l’information d’entreprise.
Si sa représentativité en nombre d’adhérents* peut paraître faible, son poids est important : en France, 80 % du chiffre d’affaires en recouvrement pour compte de tiers, hors huissiers, est réalisé par les membres de la FIGEC.

Quelle est aujourd’hui la perception du recouvrement de créances ?

Elle varie en fonction de la nature même des créances…
Le B to B et le B to C induisent des perceptions du métier du recouvrement très différentes.
En B to B, des entreprises confient leur recouvrement à d’autres entreprises : il n’y a pas de question de légitimité puisque l’action de recouvrement contribue à assainir les échanges interentreprises.
En B to C, en revanche, on touche à l’individu et donc à l’affect. Et dans ce domaine, il faut distinguer deux catégories de créances. S’il s’agit de petites créances de téléphonie, d’internet, de distribution d’énergie ou d’eau, le recouvrement est perçu comme difficile mais entendu ; les contestations portent essentiellement sur l’interprétation des contrats d’origine.
Le secteur du crédit à la consommation est plus sensible.
Les établissements pourvoyeurs de crédit sont souvent jugés responsables du surendettement des ménages et, s’il est tout juste acceptable qu’ils recouvrent eux-mêmes leurs propres créances, l’externalisation à des tiers est accusée de tous les maux. Pourtant, la finalité reste identique : obtenir le règlement des dettes qui n’ont pas été honorées.
Je rappelle qu’en droit français, payer ses dettes est une obligation naturelle qui incombe à chacun.

Mais pourtant, ces sociétés agissent selon des règles strictes ?

Les entreprises membres de la FIGEC spécialisées en B to C sont souvent elles-mêmes filiales de grands groupes français ou européens. Elles emploient chacune entre 50 et 500 personnes et exercent un métier réglementé, que la FIGEC, très vigilante sur ces sujets, s’applique même à autoréguler.
Que ce soit en acquisition de créances ou en recouvrement pour compte de tiers, ces activités sont extrêmement réglementées et contrôlées (DGCCRF, CNIL).
En outre, la FIGEC impose à ses membres le respect de codes de déontologie et de chartes cosignées avec les associations de consommateurs.

Quelle est l’évolution légale pour encadrer le crédit à la consommation ?

La « mauvaise presse » du crédit à la consommation et du recouvrement qui lui est attaché, trouve sans doute son origine dans une méconnaissance des lois qui encadrent cette activité, comme la loi Scrivener ou plus récemment la loi Lagarde. Cette dernière, en vigueur depuis juillet 2010, encadre plus fortement l’octroi du crédit sur le lieu de vente, les taux de l’usure et les conditions de dépôts des plans de surendettement.
La loi de Consommation dite loi Hamon qui est en train de voir le jour, va au-delà et s’attacheà inscrire dans le marbre les bonnes pratiques en matière de recouvrement, ce dont la FIGEC se réjouit.
La loi Hamon vise également à instaurer la mise en place de « fichiers positifs** », qui permettront à l’établissement de crédit de répertorier les crédits déjà accordés à la personne au moment de la demande.
Jusqu’à aujourd’hui, les établissements de crédit, pour octroyer un crédit, ne pouvaient s’appuyer que sur des éléments déclaratifs.

En ce qui concerne le crédit interentreprises, quelle est votre approche ?

En B to B, la réglementation et les pratiques évoluent elles aussi, avec des effets bénéfiques évidents. Il faut considérer deux aspects : les règles en matière de délais de paiement et la ponctualité des débiteurs. En France, la Loi de Modernisation de l’Économie a visé la réduction des délais de paiement interentreprises depuis le 1er janvier 2009. Aujourd’hui, avec 32 jours de délai de paiement pour les entreprises, la France est dans la moyenne ouest-européenne. Les retards de paiements sont considérés par les trois-quarts des chefs d’entreprises européens comme une cause inquiétante de faillite potentielle, inquiétante car ils s’allongent régulièrement depuis quelques années. Pour mémoire, en termes de ponctualité de paiements en Europe, la France, avec 78 %, vient juste derrière les deux premiers que sont l’Allemagne (79,6 %) et la Russie (78,3 %).

Vous évoquez l’Europe. Que remarquez- vous dans les différences de comportements ?

L’attitude face à l’argent est très différente suivant les pays. En observant les différents comportements et règles de nos voisins, on apprend beaucoup.
Dans le monde de l’entreprise… En Allemagne, il est normal de payer sa dette et il y a proportionnellement beaucoup moins d’impayés que dans le reste de l’Europe.
En France, culturellement, on ne parle pas d’argent. Et en situation de recouvrement, on râle d’abord beaucoup, pour finalement régler.
Du côté des particuliers… Dans les pays nordiques, l’accès aux données personnelles permet de retrouver facilement les débiteurs. En France, 30 à 40 % des créances impayées résultent de changements d’adresse qui n’ont pas été notifiés par la personne débitrice. Les créanciers français sont contraints d’utiliser les prestations d’agences privées de recherches spécialisées et agréées par les Préfectures, ce qui coûte très cher.
Conclusion : pour une question évidente de rentabilité, une masse importante de petites créances impayées passe au travers des mailles du filet. C’est une vraie préoccupation.

Comment changer ces comportements, pallier ces manques ?

Il faut changer l’organisation pour changer la perception. La FIGEC s’emploie à développer et faire vivre les bonnes pratiques dans nos activités. Au-delà des chartes, elle a mis en place un service de médiation par Internet entre les débiteurs et les adhérents FIGEC.
La première évidence serait l’adhésion systématique de chaque acteur à un syndicat professionnel, comme c’est la pratique chez certains de nos voisins européens ou même états-uniens. En Allemagne par exemple, toute entreprise qui pratique une activité de recouvrement est syndiquée, ce qui permet à la fédération professionnelle unique d’être très puissante. Nous aurions meilleure presse et le métier serait mieux considéré si toute personne, toute entreprise ayant pignon sur rue se syndiquait. Les 400 sociétés françaises pourraient parler alors d’une seule voix. » .

* 21 adhérents FIGEC (400 sociétés de recouvrement de créances en France, dont une centaine seulement est syndiquée).
** Les fichiers positifs ou « centrales de crédit positives » ont pour objet de réunir des données permettant de connaître l’endettement d’un futur emprunteur avant de lui octroyer un prêt, même s’il n’a pas connu de défaillance dans le remboursement de ses crédits. Seuls les établissements de crédit ont accès à ces fichiers.